Jean-Noël Herlin, un junk mail junkie
Jean-Noël Herlin
Installation audiovisuelle et musique : Cengiz Hartlap
Mise en espace : MPM Architecture (Jeanne Lefrand et Charles Marmion)
Graphisme : Emma Kildea
« En matière d’art, je suis un junk mail junkie. Et cela depuis près de trente-cinq ans. Enfin, trente-quatre ans, pour être exact, pendant lesquels j’ai constitué une archive de près de 300 000 documents ayant trait aux arts visuels et aux arts performatifs à l’échelle internationale depuis 1950. Si les chiffres veulent dire quelque chose, elle contient des documents sur plus de 50 000 artistes, s’étend sur près de 200 mètres linéaires et pèse cinq tonnes. Une folie ! Une folie qui a suscité la “gratitude éternelle” d’artistes, d’universitaires et de commissaires d’exposition, tandis que d’autres en ont eu les yeux écarquillés ou sont restés bouche bée de stupéfaction », écrit Jean-Noël Herlin en 2007 dans l’introduction d’un article publié dans la revue Art on Paper, où il explique « comment le junk mail d’hier devient l’ephemera de demain ».
Né en 1940 à Paris, Jean-Noël Herlin s’installe à New York en 1965, où il est actif en tant que libraire, archiviste et expert spécialisé dans l’art moderne et contemporain sous toutes ses formes. Tout au long de son parcours, cet « accro du courrier indésirable » s’est comporté en véritable papivore pour qui les imprimés constituent des « véhicules ». Ses propres manières de faire s’approprient, en les hybridant, l’approche artisanale qui a marqué l’histoire européenne du livre et les sensibilités artistiques qui ont émergé dans les années 1960.
À partir de 1966, Jean-Noël Herlin travaille pour Kraus Periodicals, une entreprise spécialisée dans l’achat et la vente de périodiques et de collections de livres thématiques, devenue une référence dans l’histoire de la librairie de la seconde moitié du XXème siècle. En 1972, il fonde J.N. Herlin, Inc., une librairie d’antiquariat pionnière consacrée aux imprimés sur les arts visuels du xxe siècle ainsi qu’aux arts performatifs et au cinéma. Située d’abord dans Greenwich Village, puis dans un loft au 108 West 28th Street et enfin à SoHo, son enseigne publie une trentaine de catalogues ou listes de libraire et organise seize expositions.
En 1973, dans le prolongement de son activité de libraire, il initie ce qui deviendra le Jean-Noël Herlin Archive Project, pour lequel il collecte et classe les ephemera ayant trait à l’art moderne et contemporain : cartons d’exposition, affiches, communiqués, brochures, coupures de presse, photographies, etc. Tentant de rendre compte de la créativité dans son ensemble, son archive – « inclusive, panoramique et non hiérarchique » selon ses propres mots – contribue par une méthode renouvelée du traitement des sources dites primaires à l’écriture d’une histoire de l’art qui intègre les formes issues de disciplines et de démarches diverses. Après la fermeture de sa librairie en 1987, son expérience l’amène à réaliser des expertises d’œuvres ou de fonds d’archives, notamment dans la perspective de leur entrée dans des collections institutionnelles américaines.
En 2014, dans le cadre d’une recherche, j’ai à mon tour sollicité Jean-Noël Herlin pour consulter certains dossiers de l’Archive Project. À cette occasion, j’ai découvert son engagement singulier, total dans l’écrit. Bien qu’il se situe volontairement en marge des mondes artistique et académique, refusant notamment d’être enregistré, il se laisse alors convaincre de contribuer à un film documentant son travail quotidien, son économie, ses idées.
Au fil de la collaboration qui s’instaure, et à laquelle se joint l’artiste sonore Cengiz Hartlap, les « pratiques d’écriture » de Jean-Noël Herlin se révèlent être plus vastes que ce à quoi le verbe « écrire » peut faire penser. Certaines, comme dresser un index ou rédiger des cartes de renvoi, s’inscrivent dans la continuité de techniques intellectuelles introduites à la Renaissance. D’autres, comme collecter par échange ou achat auprès de critiques d’art ou d’artistes des éléments de leur courrier qui auraient fini à la corbeille (leur junk mail), relèvent en revanche de l’invention archivistique. D’autres encore sont ordinaires, mais poussées jusqu’au paroxysme, ainsi quand il compose, à la main, une légende bibliographique pour chaque ephemera ou assigne un prix aux milliers d’objets qui peuplent l’appartement surchargé de l’artiste Lil Picard. D’autres enfin déjouent les attentes, comme quand il fait de ses catalogues de libraire des œuvres d’art érudites inspirées par l’art conceptuel.
Cette première exposition monographique consacrée à Jean-Noël Herlin rassemble une sélection de cinq cents documents et œuvres provenant principalement de ses archives personnelles et regroupés selon ses quatre « pratiques d’écriture » principales : lecture/écriture/indexation, librairie, archive, expertise. La présentation a été pensée en conjonction avec une installation audio-visuelle immersive dont le scénario se déploie sur huit heures et croise plusieurs fils : une journée de travail de Jean-Noël Herlin, les quatre séquences de son parcours de vie dans l’écrit, des évènements et rencontres à New York et Paris. En suivant les écrits, l’exposition fait émerger la complexité et les implications parfois troublantes d’un engagement radical, pensé par le principal intéressé comme « utopique ».
Sara Martinetti
Jean-Noël Herlin
Jean-Noël Herlin (né en 1940 à Paris, vit et travaille à New York depuis 1965) est un libraire, archiviste et expert, auteur d’un projet d’archivage de documents éphémères autour de l’art moderne et contemporain. Il développe aujourd’hui ses activités via un site web de vente en ligne de sources primaires et de docu- ments relatifs à l’histoire de l’art du XXe siècle (www.jeannoelherlin.com).
Sara Martinetti
Sara Martinetti est une chercheuse en histoire, anthropologie et théorie des arts qui vit et travaille à Paris. Sa thèse de doctorat, dirigée par Béatrice Fraenkel et soutenue en 2020 à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), a porté sur la pratique de l’écrit et les enjeux théoriques du travail de Seth Siegelaub dans l’art conceptuel, le militantisme et l’érudition. Autour de ce sujet, elle a conçu plusieurs expositions et publications, dont « The Stuff That Matters: Textiles Collected by Seth Siegelaub for the CSROT » (Raven Row, Londres, 2012), « Seth Siegelaub: Beyond Conceptual Art » (Stedelijk Museum Amsterdam, 2015–16; cat. Walther König, 2015), et « Seth Siegelaub: “Better Read Than Dead,” Writings and Interviews, 1964–2013 » (cat. Walther König, 2020). Suivant une méthode similaire, elle travaille depuis 2014 avec l’avocat Michel Claura, critique d’art et organisateur d’expositions entre 1967 et 1982. Leur collaboration a abouti à la publication de deux rapports de recherche rendus possibles par des bourses du Centre national des arts plastiques (Cnap) en 2017 et des Amis du Centre Pompidou dans le cadre de la Mission Recherche en 2020. En 2022, elle a organisé l’exposition « Anka [Ptaszkowska], au cas par cas » au Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux.
Cengiz Hartlap
Cengiz Hartlap est un artiste sonore qui vit et travaille à Paris. À la fois musicien, sound designer et ingénieur du son, il s’est formé en électrotechnique et a joué dans plusieurs formations musicales en tant que bassiste, batteur, percussionniste et choriste. Il compose régulièrement pour le théâtre et la danse (Philippe Découflé, Nasser Martin-Gousset), le cinéma (notamment en collaboration avec le sound designer Nicolas Becker) ou la publicité. Depuis 2009, il travaille régulièrement avec Philippe Parreno, notamment à l’occasion des expositions de l’artiste au Palais de Tokyo, à l’Armory Show à New York, au Pirelli HangarBicocca à Milan et à la Tate Modern à Londres. En 2021, il a été invité en résidence par le critique d’art Federico Nicolao aux Ateliers des Arques, dans le Lot, pour contribuer à l’exposition « Paysage ouvert – La Suite des danses ». En 2022, il a collaboré avec Sara Martinetti dans le cadre du projet « Anka [Ptaszkowska], au cas par cas » au Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux.
Emma Kildea
Emma Kildea est une graphiste qui termine actuellement sa formation à l’École supérieure d’art et de design d’Amiens. Dans le cadre de son Diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP), elle a rédigé un mémoire traitant des relations entre design graphique et art contemporain. Lors d’une immersion de quelques mois en 2022 au FRAC Picardie, elle a exploré ces enjeux artistiques et institutionnels sur le terrain.
MPM Architecture (material–proportions–matter)
L’agence d’architecture MPM (material–proportions–matter) se présente comme une entité regroupant en son sein plusieurs architectes, dont Jeanne Lefrand et Charles Marmion. Leur « manifeste » explique : « Si nous sommes amenés à collaborer, tour à tour, sur des projets d’architecture, nous nous rejoignons, de manière permanente, autour d’un engagement commun. Nous avons la volonté d’inscrire notre travail dans une recherche continue, explorant les savoir-faire traditionnels autant que les nouvelles techniques. Cela dans l’espoir de produire une architecture qui puisse traduire et accompagner une intelligence d’usage et de mise en œuvre. »
L’exposition est co-produite avec l’École supérieure d’art et de design d’Amiens et reçoit le soutien de la Villa Albertine. Sara Martinetti a bénéficié du soutien à la recherche en théorie et critique d’art du Centre national des arts plastiques en 2022.
Séance d’arpentage collectif
Atelier tampons encreurs, en famille, à partir de 4 ans
Visites flash, boissons chaudes et gourmandises.
Atelier reliure, entre adultes
Atelier coulures & tâches, entre enfants, à partir de 6 ans
Atelier linogravure, en famille, à partir de 6 ans