SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles
Florian Fouché
Nouvelle itération de SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE activé en mars 2024 dans l’atelier de Florian Fouché à Paris puis au centre d’art GwinZegal à Guingamp en octobre, cette exposition s’inscrit dans le prolongement du Manifeste Assisté, une vaste enquête à la fois perceptive et documentaire sur la « vie assistée » commencée en 2015 et présentée à Bétonsalon, dans l’exposition collective « Le Corps fait grève » en 2021. Elle trouve son origine dans le parcours de soins de Philippe Fouché, le père de l’artiste, devenu hémiplégique suite à un accident vasculaire cérébral et qui, accompagné dès lors par son fils au quotidien, est devenu le protagoniste d’« actions proches » où se redistribuent les rôles de soin et les positions d’assistance.
Prenant acte des fermetures quasi simultanées de l’EHPAD Robert Doisneau à Paris qui accueillait Philippe Fouché et du Centre Pompidou en 2025, Florian Fouché identifie des correspondances critiques et des défaillances communes entre deux systèmes du secteur public français, la santé et l’art. Dans cette exposition à Bétonsalon, Florian Fouché articule la relation que les corps entretiennent avec l’espace médical et l’espace muséal, face au démantèlement progressif des dispositifs de soin en faveur des personnes les plus vulnérables, à l’instar de l’A.M.E¹ (Aide Médicale d’État), l’érosion progressive de la Sécurité sociale et la précarisation des institutions culturelles publiques. L’histoire de l’atelier de Constantin Brâncuși sert de toile de fond à cette exploration : situé à l’origine impasse Ronsin à Paris, il a été détruit après la mort de l’artiste afin d’y accueillir une aile supplémentaire de l’hôpital Necker – Enfants malades puis fut reconstitué au pied du Centre Pompidou, par Renzo Piano en 1997. Tourné dans cette version de l’atelier reconstitué de Brâncuși en 2022 et présenté dans l’exposition, le film Vie institutionnelle établit un parallèle entre l’architecture de l’hôpital et la scénographie pensée par Renzo Piano mettant en évidence la motricité des corps régie par des couloirs de circulation, une mobilité tantôt empêchée tantôt désirée ou forcée qu’il met en relation avec certaines sculptures de Brâncuși, elles-mêmes couchées, dressées ou assises.
Cette réflexion portée sur les relations entre biopolitique et muséographie trouve une filiation avec le concept du « musée antidote » développé par l’ethnologue Irina Nicolau au Musée du Paysan Roumain à Bucarest, qui sert de cadre à une enquête photographique et plastique débutée par l’artiste en 2012. À rebours du « musée-hôpital » au sein duquel les oeuvres sont figées et mises à distance du public afin de garantir leur bonne conservation, la scénographie pensée par Irina Nicolau favorisait une forme d’éducation populaire par des mises en espace singulières, faisant éclater la vision folklorique et nationaliste portée sur les cultures vernaculaires comme sur l’oeuvre de Brâncuși promue par le régime communiste roumain avant la révolution de 1989. Dans une perspective analogue, cette exposition vise à rendre palpable les « vies institutionnelles » des personnes et des oeuvres qui peuplent ces espaces liminaires et qui se voient confrontées, dans le cas de « Philippe » comme des sculptures extraites de l’atelier original de Brâncuși, à une forme de translation des corps, passant d’une prise en charge médico-muséo-institutionnelle à une autre.
Par ailleurs, si l’enfance occupe déjà une place cruciale dans les recherches de Florian Fouché autour des expérimentations pédagogiques menées par Fernand Deligny dans les Cévennes avec des enfants autistes et en marge de la société, elle trouve dans cette exposition un champ d’expression d’autant plus prégnant et politique. En effet, un ensemble de nouvelles sculptures (Enfants délinquants à la naissance, 2024) fait directement référence au rapport, très critiqué, de l’Inserm de 2006 visant à détecter de futur·es délinquant·es parmi des très jeunes enfants par des analyses comportementales biaisées, et ayant servi de base à un projet de loi (non votée) proposé la même année par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Ce rapport et cette proposition de loi s’inscrivent dans une longue généalogie des théories biologiques de l’hérédité remontant au concept de « criminel-né » du criminologue italien Cesare Lombroso (1887), expressions d’une extrême-droitisation du discours politique en France.
En dialogue avec ce contexte historique, des oeuvres réalisées à partir d’éléments de mobilier urbain et de signalétiques interrogent les normes sociales qui induisent certaines formes de déplacement, déterminent les usages de l’espace public, souvent selon un prisme validiste, excluant des mobilités qui ne peuvent ou refusent de s’y conformer. En interaction avec cet ensemble d’oeuvres se dessine une nouvelle configuration physiologique, relationnelle voire « orthopédique » des corps en présence/absence dans l’espace d’exposition face aux mutations sociétales qui les régissent, à l’échelle des individus comme de l’imaginaire collectif.
¹ En novembre 2023, l’Aide Médicale d’État (que l’artiste traduit par Â.M.E.), dispositif mis en place en 2000 permettant aux personnes étrangères en situation irrégulière présent·es sur le territoire français depuis au moins 3 moins de bénéficier d’un accès aux soins sans contribution préalable, se voit remis en question dans le cadre du projet de loi relative à l’immigration. Dans un communiqué du 28 novembre 2023, l’Académie Nationale de Médecine rappelle que cette décision contrevient à un principe éthique fondateur de la médecine qui se doit de prendre en charge « tout patient, quelle que soit sa situation régulière ou non ».
Florian Fouché
Florian Fouché est né en 1983 à Lyon. Il vit et travaille à Paris et enseigne à l’École des Beaux-Arts de Lyon. Sa pratique de la sculpture engage à la fois des formes documentaires (enquêtes de terrain, photographie, vidéo, dessin) et performatives réalisées avec différents collaborateur·ices. Après plusieurs années d’enquête autour de la muséographie du Musée du Paysan roumain à Bucarest (Le Musée antidote, 2010-2014), Florian Fouché initie le cycle Manifeste assisté en 2015, qu’il développe sous la forme d’une série d’« actions proches », détournant ainsi le terme de « présences proches » élaboré par l’éducateur Fernand Deligny (1913-1993) pour désigner les adultes qui organisaient les « aires de séjour » du réseau expérimental de prise en charge d’enfants autistes dans les Cévennes. Il a notamment présenté son travail au Palais de Tokyo (Paris), au Palais des Beaux-Arts (Paris), au CAC Passerelle (Brest), au Carré d’art (Nîmes), au Musée Unterlinden (Colmar), au CIAP (Vassivière), au SKC (Belgrade), dans l’atelier d’Eustache Kossakowski chez Anka Ptaszkowska (Paris), au 10-rue-Saint-Luc- atelier des éditions L’Arachnéen (Paris), au Centre Pompidou (Metz), à Bétonsalon (Paris), au MoMA Virtual Cinema (New York), au CAPC (Bordeaux), au Muzeum Sztuki Nowoczesnej w Warszawie (Varsovie), au CRAC Occitanie (Sète). Il est représenté par la galerie Parliament à Paris.
Cette exposition reçoit le soutien de l’ADAGP – société française des auteurs des arts visuels, dans le cadre de la bourse de recherche ADAGP / Bétonsalon dont la Bibliothèque Kandinsky, Centre Pompidou est partenaire.