SOFARSOGOOD
Sylvie Fanchon
Du 3 mai au 13 juillet 2024 à Bétonsalon
Ouverture : vendredi 3 mai, de 16h à 21h
Du 4 au 26 mai 2024 à Pauline Perplexe, Arcueil
Ouverture : samedi 4 mai, de 18h à 22h
Visite sur rendez-vous les jeudis et vendredis : paulineperplexe@gmail.com
Ouvert sans rendez-vous les samedis 11, 18 et 25 mai et le dimanche 26 mai, de 14h à 18h
QUEPUISJEFAIREPOURVOUS est une œuvre à protocole de Sylvie Fanchon installée sur les vitres de Bétonsalon depuis 2021 et que l’on renouvelle régulièrement, puisant tour à tour et sans distinction parmi les dix phrases qui la composent ¹. Les mots sont ceux de Cortana, une « assistante virtuelle de productivité personnelle ² » équipée d’une fonction-réflexe qui interrompt toute dérive inutile des utilisateurices d’une voix typiquement féminine. L’œuvre réplique cette adresse directe et univoque pour l’inscrire sur la façade vitrée du centre d’art, le transformant à son tour en porte-parole de services énoncés à la première personne dans un style FALC ³ à la bienveillance suspecte. Située à l’extrémité du bâtiment, la phrase est visible de l’extérieur, mais visible ne veut pas dire lisible. Car chaque phrase, dessinée en lettres majuscules sans espace ni respiration d’un bout à l’autre de la surface vitrée, tracée en réserve sur une ligne invisible, se distingue nettement du fond passé au blanc de Meudon qui a gardé l’empreinte du geste circulaire et régulier de sa fabrication. Et voilà que le message a perdu au passage toute sa limpidité : le sens résiste mal à cette collusion entre le tracé rectiligne du lettrage et la surface trouble sur laquelle il s’inscrit. Cette invitation au dialogue tourne alors en une boucle vide sur laquelle le regard est invité à ne pas trop insister, d’autant que tout cela cache le désordre de la régie (rendant par-là un réel service).
Ces écarts subtils qui se jouent avec l’inscription d’un signe très clair sur une surface très simple animent largement le travail de Sylvie Fanchon. Extraire des motifs connus et facilement identifiables, des « choses communes » dirait-elle – langage courant, figures animalières, formes décoratives, ou bandes de scotch –, les vider pour n’en garder que les contours et les déposer à un endroit stratégique – au centre ou aux extrémités – d’une surface plane – une toile ou un mur –, au moyen de techniques sans savoir-faire particulier – collages, décollages, raclages, badigeonnages –, et enfin, révéler le caractère étrange de cette superposition par le contraste de deux couleurs, souvent dissonantes – rouge et vert, rose et marron – attribuées pour l’une à la forme, pour l’autre au fond, voilà les effet spéciaux fanchoniens bien connus qui parviennent toujours assez mystérieusement à déjouer nos réflexes de reconnaissance immédiate, à faire vriller nos associations hâtives, à créer des disjonctions et à susciter doutes, sourires, rires.
Alors que Sylvie Fanchon se savait atteinte d’un cancer, nous avons activement préparé ensemble cette exposition à Bétonsalon dans tous ses détails. Et à l’occasion d’un test d’accrochage, elle saisit au vol une proposition d’un rebond à Pauline Perplexe ⁴ qui se veut, elle, improvisée.
L’exposition à Bétonsalon rassemble sept peintures récentes, réalisées entre 2021 et 2023. On peut lire, sur les cinq grandes toiles (130 x 200 cm) accrochées dans l’espace d’exposition, de gauche à droite : Enter Password, Error Data Deletion, Nettoyez votre Android, Do Not Turn Off The Computer, Wait. Toutes confrontent des messages d’alertes – erreurs, perte des données, attente éternelle – adressés par les ordinateurs aux humain·es. Les silhouettes typiques et moqueuses de personnages de comics, – comme des Toons ⁵ avec Daffy Duck exalté, Bugs Bunny tranquille, les jambes croisées, et aussi Snoopy assoupi ou bien inanimé –, s’allongent ou s’arcboutent sur ces messages en lettres capitales, flottant dans des vastes espaces qu’on pourrait dire vides, vides intersidéraux, vides venteux, vides en feu, selon les jeux des bichromies entre fonds et figures : noir sur rouge ou noir sur jaune ou rouge sur vert… Sylvie Fanchon refusait l’espace illusionniste en peinture, – elle a pu dire qu’une peinture est une surface sans profondeur point –, elle accordait malgré tout la possibilité qu’émerge des tréfonds sombres de ses peintures récentes comme un sentiment de perte, un flip avec une pointe d’humour ou d’espoir. Aujourd’hui, connaissant l’issue mortelle de sa maladie, on peut rapidement assimiler ces messages d’alerte de la perte de données informatiques à la perte de la vie.
L’exposition à Pauline Perplexe présente une vingtaine de dessins. Certains anciens composent des jeux joyeux au moyen de signes linguistiques, comme par exemple lorsque deux phylactères vides entrent en contact dans une sorte de tentative de communication amoureuse, et ressemblent étrangement à des nuages ou à des étrons selon les capacités projectives des spectateurices. D’autres dessins plus récents réagissent à un nouveau genre d’abus de langage issu cette fois du registre médical auquel Sylvie Fanchon faisait désormais face ; celui qui, faute de mieux, appelle à garder le moral, à faire des projets : « Keep Making Plans » « Keep Your Spirit Up », « The Show Must Go On » ! Les injonctions à la positivité du discours médical, la serviabilité douteuse de Cortana comme l’urgence anxiogène des messages informatiques avaient le pouvoir de mettre Sylvie Fanchon en colère. « Cette ignoble inspiration me poussant ⁶ », comme elle aimait à citer Marcel Broodthaers, cette colère sourde la mettait au travail.
Le titre de l’exposition à Bétonsalon, « SOFARSOGOOD », suit un procédé identique aux phrases de Cortana : le texte est appliqué en réserve au blanc de Meudon, dans un geste qu’elle souhaitait cette fois chaotique, irrégulier, énervé. Le message est bref et sa surface d’application si large que les lettres sont très grandes. C’est qu’il s’agit cette fois de susciter le désir de coller son nez à la vitre pour découvrir l’exposition (plutôt que de cacher le désordre). Face au cancer, SOFARSOGOOD sonnait pour nous comme un pari ou au moins un vœu puissant, « jusqu’ici tout va bien », que Sylvie Fanchon traduisait par « si loin, si bon ». Ce message porte déjà en lui un hiatus, c’était en fait une affirmation incertaine d’elle-même, à l’image de son travail. Aujourd’hui, Sylvie Fanchon est morte, et cette double exposition est une fenêtre qu’elle a laissée ouverte derrière elle.
Émilie Renard
¹ Sylvie Fanchon a confié à Romain Grateau, artiste, membre de Pauline Perplexe et régisseur à Bétonsalon, les instructions pour la fabrication de cette pièce : appliquer le blanc de Meudon avec un geste régulier, la renouveler à peu près tous les deux mois, selon l’usure de la pièce sur sa face intérieure. Composée de 10 phrases, son échéance est indexée sur l’épuisement de cette série de phrases. Mais le rythme du renouvellement est délibérément flou, puisqu’il dépend de l’état d’usure de l’œuvre, sensible au moindre contact sur sa face intérieure, et pour l’artiste, l’œuvre supporte d’être abîmée.
² https://support.microsoft.com/fr-fr/topic/qu-est-ce-que-cortana-953e648d-5668-e017-1341-7f26f7d0f825 « Qu’est-ce que Cortana ? » : « Cortana (…) vous permet de gagner du temps et de concentrer votre attention sur ce qui est important. » page consultée le 15.03.2024.
³ Le FALC, pour « Facile à lire et à comprendre », est un langage simplifié, destiné à être compréhensible par tous·tes.
⁴ Sur une proposition de Romain Grateau. Pour plus de détails sur cet épisode, voir l’introduction à notre entretien publié sur le site de Bétonsalon. Pauline Perplexe est un collectif d’artistes basé à Arcueil.
⁵ Les Toons ont fait leur apparition dans le travail de Sylvie Fanchon en 2009 dans la série Les caractères.
⁶ Marcel Broodthaers, « To be a straight thinker or not to be. To be blind » [« Être bien-pensant ou ne pas être. Être aveugle »], texte publié en anglais dans le catalogue de l’exposition « Le Privilège de l’Art », Museum of Modern Art, Oxford, 26 avril – 1er juin 1975.
Sylvie Fanchon (1953-2023)
Née en 1953 à Nairobi, diplômée des Beaux-Arts de Paris en 1980 et décédée à Paris en 2023, Sylvie Fanchon est une artiste française dont la pratique est marquée depuis ses premières productions à la fin des années 1980 par une expérimentation de techniques picturales multiples mises au service d’une recherche esthétique qui s’articule autour de trois paramètres, la surface, la couleur et la forme, dont l’association, bien qu’empreinte de l’héritage des avant-gardes est sans cesse questionnée et rejouée au fil de sa carrière. Oscillant volontairement entre l’abstraction et la figuration, ses œuvres mettent en déroute autant les règles de la composition picturale (perspective, ombre, volume) que la prouesse du geste artistique qui se voit réduit à une série d’actions simples, répétées, codifiées voire déléguées, à l’image de ses bandes de scotch arrachées qui définissent une forme régulière bien qu’aléatoire sur la toile (Tableaux scotch). Caractérisées par leur planéité et une apparente neutralité structurelle et émotionnelle, elles s’inscrivent dans un système qui se décline en motifs récurrents non dénués d’humour : silhouettes de personnages, bulles et symboles de bande dessinée et dessins animés (Snoopy, Looney Tunes), logos publicitaires, phrases stéréotypées, etc. Si la surface de ses œuvres devient le lieu où se stratifient réminiscences, signes et citations variés, elle révèle paradoxalement ce qui dépasse leurs limites physiques : un hors-champ qui s’exprime autant dans le cadre et l’architecture de l’espace qui conditionne leur appréhension visuelle (à l’instar de la série des Monochromes décoratifs) que dans la mise en exergue des mécanismes de production de valeur, à travers la désacralisation de la figure de l’artiste et de sa signature (parfois réduite ironiquement au nom de domaine sylviefanchon.com, ou encore à ces initiales S.F.). Plus récemment, Sylvie Fanchon a développé une série d’œuvres qui s’approprie et détourne des phrases génériques formulées par Cortana, l’assistant vocal de Microsoft, dévoilant ainsi l’ambiguïté du message et l’artificialité de la relation établie avec læ spectateurice. Par ces jeux d’écarts et de télescopages, Sylvie Fanchon propose une forme de déconstruction des images, ainsi que des symboles et langages qui leur sont associés, afin d’interroger les cadres qui régissent nos perceptions et par extension décentrer notre regard face à ces fragments ou mirages du réel. En parallèle de sa carrière de peintre, elle occupe, de 2001 à 2019, un poste d’enseignante aux Beaux-Arts de Paris qui lui offre l’opportunité d’initier des dialogues fructueux avec les étudiant·es de son atelier, donnant lieu à des collaborations, à l’instar de l’exposition Simple et facile présentée en 2015 à Palette Terre (Paris). Son travail a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles et collectives, notamment au Centre régional d’Art contemporain (Crac) de Sète en 2012 et 2015, au musée d’Art contemporain du Val-de-Marne (Mac Val) à Vitry-sur-Seine en 2014, au musée d’Art moderne Grand-Duc-Jean (Mudam) à Luxembourg en 2017-2018, ainsi qu’à l’Espace de l’art concret à Mouans-Sartoux en 2018 et au Frac Franche-Comté à Besançon en 2018. Ses œuvres sont conservées dans plusieurs collections françaises, notamment au Mac Val, au Centre national des arts plastiques (Cnap), au Musée national d’art moderne – Centre Georges Pompidou à Paris ainsi que dans neuf Frac (Alsace, Auvergne, Bretagne, Corse, Franche-Comté, Île-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Sud). Elle est représentée par la galerie Florent Maubert, Paris.
Vincent Enjalbert
Vernissage de l’exposition à Bétonsalon
À Pauline Perplexe, Arcueil.
Séance d’arpentage. Livre en anglais.
Suivi d’une conversation avec Émilie Renard et Elena Lespes Muñoz
Et pour les parent·es qui viennent avec leurs enfants, en parallèle, Beep beep ! : atelier flipbook, entre enfants, à partir de 5 ans
Atelier flipbook, entre enfants, à partir de 5 ans
Atelier peinture au scotch, entre adultes dans le cadre du Treize’Estival
Atelier affiches au pochoir, en famille, à partir de 6 ans.
Dans le cadre du Treize’Estival