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Œuvres in situ
Bibliothèque en béton armé : ciment Portland, sable, charges minérales, acier, oxydes et pigments, encaustique, 300 x 215 x 35 cm.
Photo : © DR.
Œuvre in situ destinée à accueillir le fonds documentaire de Bétonsalon, la bibliothèque conçue par Romain Grateau forme un pied de nez à ce que pourrait littéralement être un salon en béton. Structure autoportante, elle prolonge et détourne l’architecture fonctionnelle du lieu par son alternance de lignes horizontales et de modules de soutien. Colonnes fuselées ou trapues, formes brutes et précieuses qui jouent de l’oblique, toutes donnent à voir leur processus de fabrication et les variations possibles sur un matériau que l’on connaissait industriel et uniformisé. Romain Grateau joue des densités, des teintes, des inclusions et des finitions, faisant ainsi osciller notre perception, entre le gravat et l’objet d’art. Le ponçage, auquel sont finalement soumises les pièces, agit comme un révélateur de la richesse de leur composition. En ramenant des gestes précis d’ornementation dans des techniques appartenant au gros œuvre et au BTP, l’artiste opère un mélange des genres qui fait écho à différents registres, de la maçonnerie à l’autoconstruction, de la rocaille au brutalisme. Le titre de la pièce, emprunté à l’automobile, désigne une technologie permettant de parcourir de longues distances à grande vitesse ; il rejoue et déplace cet alliage entre poésie, délicatesse, force et mécanique, en même temps qu’il subvertit une masculinité ancrée dans l’effort et dans l’exploit.
Mathilde Belouali
10 phrases inscrites successivement au blanc de Meudon sur les vitres de Bétonsalon
Commande « oeuvre in situ », Bétonsalon — Centre d’art et de recherche, Paris, 2021-2025.
Photo : Marc Domage, © Galerie Maubert et Adagp, Paris, 2025.
Badigeonnées de blanc de Meudon, les quatre fenêtres à l’extrémité de la façade vitrée de Bétonsalon deviennent écran et surface picturale. Dix phrases énigmatiques, dans une police standard, ramassée, sans espace ni ponctuation, s’y dessinent en négatif. Elles se succèdent l’une après l’autre, remplacées par l’équipe du centre d’art au gré de leur usure. Œuvre de la peintre Sylvie Fanchon, ces courtes affirmations proviennent de Cortana, l’assistant personnel intelligent développé par Microsoft dans les années 2010, toujours utilisé bien que déjà obsolète. Sur le ton de l’invitation, voire de l’injonction, sur le fil entre la politesse et l’insistance, Cortana tente d’engager la conversation (BONJOURSINOUSDISCUTIONS), de se rendre utile (JESUISLAPOURVOUSAIDERAVEZVOUSBESOINDEQUEL-QUECHOSE), prétend pouvoir améliorer notre productivité (JEPEUXVOUSAIDERAVOUSRAPPELERCEQUIESTIMPOR-TANTETBIENPLUSENCORE) et met en garde (VEUILLEZNINDIQUERAUCUNEINFORMATIONPERSON-NELLE) ; ses limites se font néanmoins assez vite sentir (JESUISDESOLEEJENAIPASCOMPRIS). Ce langage, simple et pourtant déjà inintelligible, correspond à une vision lisse et stéréotypée des relations qu’offrent les intelligences artificielles, pour lesquelles la collecte d’information, sous couvert de conseil et de serviabilité, est source de profit et instrument de pouvoir. Sylvie Fanchon, dont la pratique picturale se construit à partir d’éléments de langage et de culture visuelle existants, s’empare de Cortana, outil intrusif, dystopique mais comique, comme réservoir de motifs pour ses tableaux et ses interventions in situ. Visibles depuis l’esplanade devant le centre d’art, suscitant interrogations et curiosité, les invitations de Cortana confrontent leur autorité apparente à la fragilité et à la transparence de leur support.
Mathilde Belouali
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