SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles Florian Fouché
24 janvier — 19 avril 2025
Nouvelle itération de SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE activé en mars 2024 dans l’atelier de Florian Fouché à Paris puis au centre d’art GwinZegal à Guingamp en octobre, cette exposition s’inscrit dans le prolongement du Manifeste Assisté, une vaste enquête à la fois perceptive et documentaire sur la « vie assistée » commencée en 2015 et présentée à Bétonsalon, dans l’exposition collective « Le Corps fait grève » en 2021. Elle trouve son origine dans le parcours de soins de Philippe Fouché, le père de l’artiste, devenu hémiplégique suite à un accident vasculaire cérébral et qui, accompagné dès lors par son fils au quotidien, est devenu le protagoniste d’« actions proches » où se redistribuent les rôles de soin et les positions d’assistance. Prenant acte des fermetures quasi simultanées de l’EHPAD Robert Doisneau à Paris qui accueillait Philippe Fouché et du Centre Pompidou en 2025, Florian Fouché identifie des correspondances critiques et des défaillances communes entre deux systèmes du secteur public français, la santé et l’art. Dans cette exposition à Bétonsalon, Florian Fouché articule la relation que les corps entretiennent avec l’espace médical et l’espace muséal, face au démantèlement progressif des dispositifs de soin en faveur des personnes les plus vulnérables, à l’instar de l’A.M.E¹ (Aide Médicale d’État), l’érosion progressive de la Sécurité sociale et la précarisation des institutions culturelles publiques. L’histoire de l’atelier de Constantin Brâncuși sert de toile de fond à cette exploration : situé à l’origine impasse Ronsin à Paris, il a été détruit après la mort de l’artiste afin d’y accueillir une aile supplémentaire de l’hôpital Necker – Enfants malades puis fut reconstitué au pied du Centre Pompidou, par Renzo Piano en 1997. Tourné dans cette version de l’atelier reconstitué de Brâncuși en 2022 et présenté dans l’exposition, le film Vie institutionnelle établit un parallèle entre l’architecture de l’hôpital et la scénographie pensée par Renzo Piano mettant en évidence la motricité des corps régie par des couloirs de circulation, une mobilité tantôt empêchée tantôt désirée ou forcée qu’il met en relation avec certaines sculptures de Brâncuși, elles-mêmes couchées, dressées ou assises. Cette réflexion portée sur les relations entre biopolitique et muséographie trouve une filiation avec le concept du « musée antidote » développé par l’ethnologue Irina Nicolau au Musée du Paysan Roumain à Bucarest, qui sert de cadre à une enquête photographique et plastique débutée par l’artiste en 2012. À rebours du « musée-hôpital » au sein duquel les oeuvres sont figées et mises à distance du public afin de garantir leur bonne conservation, la scénographie pensée par Irina Nicolau favorisait une forme d’éducation populaire par des mises en espace singulières, faisant éclater la vision folklorique et nationaliste portée sur les cultures vernaculaires comme sur l’oeuvre de Brâncuși promue par le régime communiste roumain avant la révolution de 1989. Dans une perspective analogue, cette exposition vise à rendre palpable les « vies institutionnelles » des personnes et des oeuvres qui peuplent ces espaces liminaires et qui se voient confrontées, dans le cas de « Philippe » comme des sculptures extraites de l’atelier original de Brâncuși, à une forme de translation des corps, passant d’une prise en charge médico-muséo-institutionnelle à une autre. Par ailleurs, si l’enfance occupe déjà une place cruciale dans les recherches de Florian Fouché autour des expérimentations pédagogiques menées par Fernand Deligny dans les Cévennes avec des enfants autistes et en marge de la société, elle trouve dans cette exposition un champ d’expression d’autant plus prégnant et politique. En effet, un ensemble de nouvelles sculptures (Enfants délinquants à la naissance, 2024) fait directement référence au rapport, très critiqué, de l’Inserm de 2006 visant à détecter de futur·es délinquant·es parmi des très jeunes enfants par des analyses comportementales biaisées, et ayant servi de base à un projet de loi (non votée) proposé la même année par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Ce rapport et cette proposition de loi s’inscrivent dans une longue généalogie des théories biologiques de l’hérédité remontant au concept de « criminel-né » du criminologue italien Cesare Lombroso (1887), expressions d’une extrême-droitisation du discours politique en France. En dialogue avec ce contexte historique, des oeuvres réalisées à partir d’éléments de mobilier urbain et de signalétiques interrogent les normes sociales qui induisent certaines formes de déplacement, déterminent les usages de l’espace public, souvent selon un prisme validiste, excluant des mobilités qui ne peuvent ou refusent de s’y conformer. En interaction avec cet ensemble d’oeuvres se dessine une nouvelle configuration physiologique, relationnelle voire « orthopédique » des corps en présence/absence dans l’espace d’exposition face aux mutations sociétales qui les régissent, à l’échelle des individus comme de l’imaginaire collectif.
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
SÉCURITÉ SOCIALE PRÉLUDE – Vies institutionnelles - Bétonsalon
L’indomptable Main Hedwig Houben
15 mai — 26 juillet 2025
Depuis une quinzaine d’années, Hedwig Houben articule une réflexion sur la production dans un dialogue qui engage d’abord deux protagonistes : la figure de l’artiste et les sculptures qu’elle produit. Ce dialogue entre l’artiste, tantôt narratrice omnisciente, tantôt porte-parole pour les entités qu’elle façonne, se déploie lors de conférences-performances filmées puis diffusées à côté de sculptures dans des expositions. Elle a composé aujourd’hui à travers des formes maniables, en plasticine ou en plâtre, une vaste galerie de personnages doués d’identités transitionnelles. Ponctuellement, l’artiste laisse place à d’autres qu’elle-même – famille, étudiant·es, équipes des institutions, collectionneur·euses – pour jouer le rôle de guides-interprètes de son travail, livrant leurs perspectives expertes de personnes impliqué·es dans divers processus de fabrication, de transformation, de médiation ou d’entretien de ses œuvres. Comme souvent chez Hedwig Houben, cette exposition à Bétonsalon prend pour point de départ une expérience qui s’entremêle avec des récits de situations similaires et les concepts qu’elles charrient. Tout commence à l’occasion d’une prise de parole publique de l’artiste lors de laquelle sa main fut prise d’un tremblement soudain et incontrôlé. De ce dysfonctionnement manifeste, Hedwig Houben tire plusieurs conséquences, notamment la représentation d’une indépendance certaine des membres de son corps vis-à-vis de sa propre volonté, la manifestation d’un conflit ouvert. Elle observe aussi comment les réflexes, les émotions, les gestes sont beaucoup plus rapides que tout langage articulé et le devancent. De cette expérience physiologique, de ce rythme inversé, Hedwig Houben tire une réflexion plus large sur l’agentivité d’une main qui n’obéit pas aux intentions du sujet, le place dans une situation inconfortable. S’affranchissant de toute injonction à la sociabilité, à la productivité, la Main préfère l’improvisation et la divagation. Au-delà de l’inconfort généré par cette perte de contrôle, cette situation pose la question de la vulnérabilité réelle ou supposée de l’unité d’un soi, manifestant une scission par cette simple résistance d’un membre qui ne se conforme plus ni aux attentes d’un sujet ni aux conventions sociales. Bien que la Main soit un personnage récurrent dans les performances d’Hedwig Houben, elle acquiert ici une indépendance nouvelle : elle agit d’abord sous la forme d’une entité dotée d’une double personnalité, dont la dualité est mise en exergue par l’impossibilité de superposer les mains droite et gauche. Sous des formes massives et stables, deux mains tendues s’opposent, l’une palmaire, ouverte, creuse et serviable recueille et distribue, l’autre dorsale, également à plat mais pleine, n’est disponible pour personne. Celles qu’elle appelle la « Main polie » et la « Main rugueuse » sont deux faces d’une même main, la droite. Si la coordination entre les deux mains est généralement garante d’une bonne coopération, Hedwig Houben se plaît à défaire tout schéma corporel directif pour imaginer leurs conflits, l’une cherchant à prendre le dessus sur l’autre, l’autre ignorant la première. Dans ce scénario, la gaucherie est gage d’émancipation des habitus culturels qui entravent leur agentivité pour tendre vers une forme de désœuvrement régressif, d’abandon salvateur. Ailleurs, la Main se décompose en plusieurs doigts protubérants, figés sur des tiges extrasouples et équipées de caméras que l’on peut saisir pour pointer et filmer selon un point de vue non-optique. Avec ce dispositif visuel diffusant des interactions désordonnées d’images diffusées en direct, Hedwig Houben cherche à se décentrer du schéma narratif généré par la perspective d’une seule personne pour lui préférer la cacophonie visuelle d’une multitude incomplète, sans programme, spontané. Les enjeux d’interdépendances qui traversent cette exposition sont autant de questions qu’Hedwig Houben s’adresse à elle-même et plus largement à son statut d’artiste et de travailleuse polyactive, à ses dépendances et tentatives d’autonomie vis-à-vis du monde de l’art, ce même monde qui par ailleurs sait plaider des causes collectives tout en perpétuant l’atomisation des auteurices dans ses propres structures organisatrices. Sans chercher à résoudre théoriquement ces dilemmes communs à nombre d’artistes, cette exposition aurait plus pour fonction première de s’exercer à formuler ces questions, à leur trouver des formes partageables, publiques, à les fréquenter jusque dans leurs parts les plus irrésolues.
L’indomptable Main - Bétonsalon
L’indomptable Main - Bétonsalon
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