Le corps fait grève Avec Babi Badalov, Amie Barouh, Florian Fouché, Hedwig Houben
20 mai — 24 juillet 2021
Alors qu’un virus mutant pousse les corps à se tenir éloignés ; alors que les sommets de l’État nous répartissent au gré d’obscures priorités sanitaires, une force biologique révèle nos défaillances, nos dépendances, une infinie patience. La crise ambiante est le fond sur lequel se déploie l’exposition, au fil d’une si longue année où la culture a été placée sous le régime du non-essentiel. Cette exposition, qui inaugure le programme d’Émilie Renard à Bétonsalon, propose d’observer ce que la fatigue, la lassitude, l’épuisement recèlent de savoirs expérientiels inexplorés, minorés, placés en veille.
Par la représentation de corps dits, perçus ou identifiés comme vulnérables, l’exposition vise à rendre perceptible le signal faible de leurs puissances. Elle réunit les œuvres de quatre artistes qui s’ancrent dans des expériences de corps affaiblis, empêchés, marginalisés ou rendus invisibles. Il s’agit d’un corps solitaire apportant à l’administration les preuves de son existence légitime (Babi Badalov) ; de Corps, personnage ambivalent qui, profitant du confort d’un canapé, alterne entre concentration et divagations (Hedwig Houben) ; des corps d’amant·es ou d’ami·es animés par la présence d’une caméra qui les déplace et les sépare (Amie Barouh) ; de corps pivotant autour d’un point de bascule entre la position d’assistant·es et celle d’assisté·es (Florian Fouché).
Le titre s’inspire d’une fable de La Fontaine, « Les Membres et l’Estomac », éditée en 1668, dans laquelle les mains, les jambes et les pieds, fatigués de travailler, décident de se mettre à l’arrêt et de cesser d’alimenter l’estomac. La fable décrit un corps dissocié, pris dans un conflit de classe entre les membres travailleur·euses et les organes intérieurs sur lesquels règne l’estomac, dont les fonctions maîtresses – administratives et politiques – s’avèrent être vitales au « royaume » du corps en entier. La crise politique et sanitaire que traverse le corps sera finalement étouffée par le sentiment d’appartenance des organes entre eux, qui remet le corps en ordre de marche.
Le corps fait grève fait l’hypothèse d’un corps mobilisé, délibérément déloyal envers ses fonctions biologiques et rationnelles. Ce titre fonctionne comme une fiction narrative qui précède l’expérience des œuvres, des faits, gestes, dits et écrits qui composent l’exposition, et permet de spéculer sur un corps occupé à se couper de sa tête ; un corps qui ne serait plus tenu à la verticalité ni au fonctionnalisme ; un corps sympathisant avec des anatomies polymorphes qui muteraient en lui, indépendamment de sa volonté.
Des soleils encore verts Une exposition en mouvement avec : Léonore Camus-Govoroff, Louis Chaumier, Jérôme Girard, Ninon Hivert, Konstantinos Kyriakopoulos, Maïa Lacoustille, Lucille Leger, Masha Silchenko, Chloé Vanderstraeten
30 juillet — 1 août 2021
« Des soleils encore verts¹ » est une expérimentation curatoriale pensée par le collectif Champs magnétiques, convoquant le travail de neuf artistes diplômé.es de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs. Son titre, emprunté au poème éponyme d’Andrée Chedid, ouvre à de nouveaux imaginaires : les artistes réuni.es s’intéressent à ce qui pourrait advenir, dans et hors du monde. L’exposition donne à voir des formes de résistances et de spiritualités contemporaines, rêve à des futurs alternatifs. Elle regarde vers l’horizon, où se lèvent « des soleils à face insoupçonnée² », encore verts de tous les possibles.
Nous souhaitons que cette exposition s’adapte, se transforme et engendre de nouvelles formes de confrontation aux œuvres. Des soleils encore verts s’inscrit dans les interstices de programmation des lieux qui l’accueillent. L’exposition se développe en plusieurs temps courts. Chacune de ses occupations passagères est pensée comme le fragment d’un tout et se nourrit de ce qui l’a précédée, comme de ce qui advient. Elle déploie sa propre cartographie, s’ancrant temporairement dans des territoires, valorisant l’écoute des lieux, des forces qui s’y expriment et des êtres qui les habitent. Un premier cycle de cette initiative s’inscrit au sein de quatre espaces : Mains d’Œuvres, lieu indépendant de création et de diffusion pour l’imagination artistique et citoyenne ; le CAC Brétigny, Centre d’art contemporain d’intérêt national, dont la structure, marquée par les théories de l’éducation populaire et la co-création, fonctionne comme un espace collectif, chacun.e participant activement à la construction et à l’identité du projet ; Bétonsalon – centre d’art et de recherche qui développe des activités collaboratives autour de l’hospitalité et des manières de faire commun ; et l’association DOC !, lieu autogéré de résidences et d’expositions, pensé par et pour les artistes. Les possibilités d’ancrage dans d’autres institutions ou organisations artistiques restent ouvertes, au fil d’une errance dont la fin n’est pas arrêtée a priori.
« Des soleils encore verts » interroge différentes manières de rêver en et au commun et de penser des refuges. Ces espaces peuvent ouvrir des temps de réconfort, de réconciliation avec soi-même et les autres, mais aussi des instants de perte de repères où survient la possibilité de tout réinventer. Les artistes invité.es à Bétonsalon proposent des espaces d’accueil et d’hospitalité temporaires, invitant à un temps d’arrêt. Masha Silchenko et Léonore Camus-Govoroff réfléchissent à l’intime et au domestique, donnant à ces environnements une dimension collective, celle d’un espace sûr où chacun.e peut s’installer et cohabiter. Lucille Leger fait elle aussi appel à ces notions, considérant ses sculptures hybrides comme des organismes vivants qui interagissent entre espaces intérieur et extérieur. Abordant le cloisonnement désuet de l’art, du design et des objets du quotidien, ses œuvres prennent la forme d’un étrange mobilier, perturbant notre rapport au monde. Chloé Vanderstraeten matérialise des usages dans ses architectures imaginaires, des cités rêvées où surviennent de multiples activités humaines comme « construire », « rêver », « jouer » ou « cultiver ». Ces activités apparaissent aussi dans les travaux de Ninon Hivert qui récolte les traces de notre passage, donnant à voir leurs vestiges. Observatrice du quotidien, elle travaille la céramique pour modeler des vêtements-sculptures à partir d’un répertoire photographique d’objets trouvés. Elle exprime ainsi la présence de corps et de mouvements passés, fixés dans le temps. Dans le travail de Konstantinos Kyriakopoulos, le lit, point de départ d’une réflexion au commun, peut se métamorphoser en abri, en arrêt de bus ou encore en table de jeu. S’en servant comme d’un socle, il crée des structures accueillant le travail d’un.e autre artiste. Son processus est conçu comme un moment de collaboration pour expérimenter les moyens de coexister. Avec Louis Chaumier, ce qui pourrait s’apparenter à du mobilier est, cette fois, dépourvu d’usage, mais mène à une réflexion sur la nécessité de reconfigurer des espaces pour vivre ensemble. Comme le soutient Jacques Derrida dans De l’hospitalité, ce sujet suppose d’en questionner les frontières, « entre le familial et le non-familial, entre l’étranger et le non-étranger, le citoyen et le non-citoyen, mais d’abord entre le privé et le public³ ». Ces abris, où l’on peut se mettre à couvert, autorisent à ralentir le rythme et à accueillir l’autre.
Ce premier cycle d’expositions prend forme sur des terrains fertiles desquels émergent des pratiques artistiques, curatoriales et éditoriales en cours de construction. Développant de nouvelles manières de penser et d’être au monde, nous cherchons la possibilité de l’être ensemble, « un être transitif, un mode d’existence qui fait monde avec d’autres mondes⁴ ». Fort de cette réflexion, de cette errance et gonflé de ses premières racines, notre collectif poursuit sa désorientation.
Le pli du ventre cosmique Jagna Ciuchta avec Aïcha et Sheila Atala, Miriam Cahn, Patty Chang, Arnaud Cousin, Chloé Dugit-Gros, Allal El Karmoudi, Fadma El Karmoudi, Karima El Karmoudi, Nan Goldin, Nancy Holt, Marta Huba, Suzanne Husky, Graciela Iturbide, Janka Patocka, Samir Ramdani, Martha Salimbeni, Alina Szapocznikow, Dorothea Tanning, Eden Tinto Collins, T. Venkanna
17 septembre — 27 novembre 2021
« J’ai choisi, comme souvent pour mes titres, un registre semblable à la série B, un peu excessif, pas cher et accessible à tou.te.s. Ce que j’aime dans les films de série B, c’est qu’on ne s’y prend pas trop au sérieux, on y est plus dans le plaisir décomplexé que dans l’ambition, tout en traitant des sujets politiques. Les idées que ce titre évoque ne sont pas non plus (en tout cas pas toutes) nouvelles pour mes expositions. Elles retrouvent leurs échos dans toutes les œuvres invitées. Le ventre c’est un centre d’énergie et un carrefour des désirs, de la sexualité, de la respiration, de la digestion, de tous les plaisirs, de la maternité, des sentiments, et des milliards de bactéries. C’est une grotte avec son écosystème et son histoire de l’art, un contenant vivant, un cosmos en soi, un lieu des transformations. J’aime l’idée que l’exposition est un ventre. Il a des plis, endroits des chevauchements d’identités, des contiguïtés improbables, des secrets, des passages vers d’autres dimensions. Le cosmique appuie notre lien avec la Terre et avec tout ce qui nous dépasse. Mais aussi, fait basculer ce titre (et l’exposition) dans une fiction fantastique qui, je l’espère, nous fait sourire. » ¹
Depuis 2011, le travail de Jagna Ciuchta s’amplifie et se complexifie par l’invitation à d’autres artistes au cœur de sa propre pratique. Sous la forme d’expositions collectives, sa pratique évolutive est un vecteur de relations affectives et esthétiques indissociable de sa dimension économique, de son rapport à l’institution et à son milieu. Animée par un souci d’autonomie pratique, symbolique, esthétique vis-à-vis du cadre institutionnel, Jagna Ciuchta définit ses propres outils de monstration et de documentation. Ses œuvres mettent en scène la confusion des registres réels ou fantasmés, des espaces intérieur et extérieur, de soi et des autres dans une forme d’hospitalité radicale. À travers le motif de l’incorporation d’œuvres immergées dans ses scénographies ou ses photographies, Jagna Ciuchta disparaît derrière la figure du commissaire – elle parle de « naive curating » – en jouant avec les marges de l’institution qui l’accueille. Son hospitalité, chargée d’un certain érotisme au sens d’un désir de contact, d’enveloppement voire d’absorption, conduit à une forme d’effacement de soi, de glissement continu, d’instabilité des formes. Jagna Ciuchta fait évoluer ses dispositifs, réorganisant continuellement l’accrochage des œuvres, transformant sa scénographie qui bat de son propre rythme, de son ouverture à sa fermeture. D’un autre point de vue, comme en témoigne la forte présence plastique de sa scénographie, les artistes invité.es sont tout autant contenu.es en elle, assimilé.es, voire digéré.es par sa composition. S’exprime alors la toute-puissance de l’artiste, ses choix arbitraires, affectifs, sa capacité à créer d’autres systèmes de valeurs, d’agir autrement que ne le ferait un.e curateur.rice, en pleine conscience des risques de cannibalisation réciproque inhérents à l’accueil ou au désir de l’autre. L’œuvre de Jagna Ciuchta se tient dans la tension entre ces deux polarités.
En cours