Anne Le Troter, Les volontaires, pigments-médicaments
Exposition du 18 février au 23 avril 2022
Ouverture : jeudi 17 février, à partir de 16h.
Commissaire : Émilie Renard
L’exposition reçoit le soutien de l’ADAGP – société française des auteurs des arts visuels dans le cadre de la bourse de recherche ADAGP / Bétonsalon dont la Bibliothèque Kandinsky, Centre Pompidou est partenaire, de la Fondation Pernod Ricard et de la galerie frank elbaz.
Avec cette exposition, Anne Le Troter poursuit son exploration des mécanismes du langage et de la puissance de la parole à travers le son, l’écriture et l’installation. Lauréate en 2021 de la bourse ADAGP consacrée au fonds Marc Vaux, elle en aborde les milliers de clichés comme s’il s’agissait d’une vaste archive sonore peuplée de voix d’artistes. De 1920 à 1970, Marc Vaux documente la vie artistique à Paris en photographiant artistes et modèles, œuvres, expositions, salons, ateliers, galeries, cafés, bals, fêtes ainsi qu’une masse importante de documents administratifs. Avec près de cent trente mille photographies conservées à la bibliothèque Kandinsky au Centre Pompidou, ce fonds offre de la scène artistique parisienne l’image d’un foyer de création hybride et transnational, et témoigne d’un quotidien nourri d’histoires individuelles et collectives qui dérogent largement au récit d’une modernité homogène, agrégée autour de quelques figures héroïques.
Anne Le Troter, Mobile sonore, 2020
Courtesy galerie frank elbaz, Paris
Parmi les cinq mille artistes représenté·es, Anne Le Troter s’intéresse à des personnes plus anonymes, militant·es et fédérateur·rices, comme l’ont été par exemple Marie Vassilieff avec la « cantine populaire pour artistes et modèles » qu’elle ouvre en 1914, Louise Hervieu qui fonde en 1937 une « association pour l’institution du Carnet de santé » ou encore Marc Vaux lui-même qui accueille en 1946 un « foyer d’entraide pour artistes et intellectuels ». Inspirée par les détours de ces vies d’artistes occupé·es par le soin, Anne Le Troter compose une pièce de théâtre sonore où elle donne à entendre les voix d’artistes polyactif·ves, soignant·es ou soigné·es, art-thérapeutes, modèles, infirmier·ères, ambulancier·ères, résistant·es. En sondant leurs paroles dans les interstices d’images muettes, elle compose entre elles et eux des conversations autour de leur santé, de leurs maladies professionnelles, de leurs mobilisations, des conditions matérielles de leurs vies, etc. Pour cela, elle invite des travailleur·ses de l’art vivant·es – Victoire Le Bars, Ségolène Thuillart, Simon Nicaise, Nour Awada, Agathe Boulanger, Martin Bakero, Romain Grateau, Emmanuel Simon, Eva Barto et Juliette Mailhé – à prêter leurs voix et à parler avec des artistes pour ainsi dire pas mort·es du fonds Marc Vaux – Suzanne Duchamp, Henri-Georges Adam, Marie Vassilieff, Max Beckmann, Joy Ungerer, Jean Cocteau, Anne Chapelle, Bessie Davidson, Madeleine Dumas, Ossip Zadkine, Claudette Bergougnoux, Kiki de Montparnasse, Paul Éluard, Joséphine Baker… Les différent·es protagonistes de cette pièce sonore naviguent entre les bribes d’une histoire de l’art et des politiques françaises de santé pour les artistes ; elles et ils observent à la fois leur rattachement au régime général de la sécurité sociale et leur insécurité sociale (pas de congés pour la maternité, ni pour la maladie ou les accidents professionnels) ; elles et ils racontent les luttes des travailleur·ses de l’art, retracent l’avènement du carnet de santé, écoutent les couacs de l’assurance vieillesse et se laissent guider par l’entraide, les pigments et les médicaments. Celles et ceux qu’Anne Le Troter appelle « les volontaires » composent, au fil de leurs conversations, une nouvelle identité transhistorique. Ensemble, elles et ils élaborent l’autobiographie médicale d’un corps collectif hybride.
À Bétonsalon, ce récit polyphonique se love au sein du centre d’art. Les voix courent le long de fragiles ramifications métalliques qui affleurent des failles du sol ; des réseaux de câbles audio tombent mollement du plafond pour se connecter à des petites enceintes désossées et viennent caresser un sol sonore ; les souffles et fluides corporels font vibrer les surfaces vitrées. Cette mécanique du son mise à nue s’incarne dans la matière du lieu comme s’il s’agissait d’une vaste enveloppe charnelle amplifiée. La conductivité du son est partout fragile et demande une attention particulière, des pieds jusqu’aux oreilles. Au fur et à mesure de l’écoute, les mots se mêlent aux bruits de ce corps collectif recomposé et les sons environnants adhèrent à ses paroles. On pourrait croire ces deux sources sonores opposées – l’une discursive, l’autre bruyante –, mais une écoute attentive montre qu’elles se modifient au contact l’une de l’autre, et le sens se brouille et le bruit prend sens.
Anne Le Troter, Les mots à la bouche, 2020, dessin
Courtesy galerie frank elbaz, Paris
Biographie
Anne Le Troter (1985) est une artiste basée à Paris. C’est après l’écriture de deux livres L’encyclopédie de la matière et Claire, Anne, Laurence qu’elle commence à travailler, par cycle, sur les modes d’apparition de la parole de groupes déterminés en additionnant les expositions (souvent des pièces sonores) produisant, à la fin, des pièces écrites. Ainsi Anne Le Troter invite des groupes de personnes tels que les artistes ASMR à venir travailler avec elle (L’appétence, pièce sonore, 2016 Prix du Salon de Montrouge et du Palais de Tokyo). Après avoir travaillé sur une forme de commercialisation de la parole – au cours d’un cycle d’installations sonores autour de la figure de l’enquêteur téléphonique, cycle étendu sur la durée de deux expositions personnelles et une collective (Les mitoyennes à La BF15 à Lyon en 2015, Liste à puces au Palais de Tokyo en 2017 et Les silences après une question à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne en 2017) – le travail d’Anne Le Troter prend aujourd’hui le chemin du genre de l’anticipation. Invitée par la fondation Pernod Ricard, la Biennale de Rennes, le centre d’art contemporain Le Grand Café à Saint Nazaire, le Nasher Sculpture Center à Dallas et le Centre Pompidou l’artiste engage un nouveau cycle d’écriture autour de la notion de biographie, de fiction et d’utopie. En 2019, elle est lauréate de la Villa Kujoyama à Kyoto, en 2021 de la bourse Mondes Nouveaux ainsi que de la bourse de recherche ADAGP – Bétonsalon associé à la bibliothèque Kandinsky, Centre Pompidou. Suite à l’exposition Les volontaires, pigments-médicaments à Bétonsalon, son travail sera présenté en 2022 à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne et à Ygrec à Aubervilliers.
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