Présentation
KEEPYOURSPIRITSUP !
Avec Clément Courgeon, Louise Siffert, Gwendal Coulon, Costa Badía, et le collectif Ostensible (No Anger & Lucie Camous)
D’après une proposition curatoriale de Vincent Enjalbert et Elena Lespes Muñoz
Dans le cadre de l’été culturel de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France – Ministère de la Culture
Sylvie Fanchon, KEEPYOURSPIRITUP, dessin, 2022 Courtesy Sylvie Fanchon, galerie Maubert, ADAGP, Paris, 2022 / Sylvie Fanchon.
Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, le sport est à tel point ancré dans notre quotidienneté qu’il n’y est plus seulement présent sous la forme d’un loisir, individuel ou collectif, ou d’une activité physique régulière déterminée. Il innerve désormais nos jours, irriguant de son vocabulaire nos paroles, d’un bonjour sous la forme d’un « comment ça va champion ? », à un encouragement qui tient tout de la course de fond, « ne te laisse pas abattre, ne lâche rien ! » ; mais aussi le monde du travail, où il est devenu synonyme de réussite, une entreprise insistera ainsi sur « la performance », les « records individuels » et les « victoires d’équipe ». Si le sport se résume de prime abord à une activité physique visant à améliorer sa condition physique (définition du Larousse), il est aussi l’un des principaux vecteurs d’une culture de l’héroïsme, du dépassement de soi avec, mais aussi contre les autres. Or, force est de constater que les penchants agonistiques qui le traversent ont envahi nos vies. L’économiste et sociologue allemand Max Weber soulignait déjà dans ses écrits comment les passions de la richesse avaient tout du caractère d’un sport, tant elles étaient habitées par la logique du combat, de la compétition et de la performance. Devenu un rapport généralisé à l’existence, le sport est ainsi désormais présent hors du sport : « employé à titre de référent, de métaphore ou de principe d’action dans des registres de plus en plus étendus de notre réalité contemporaine, le sport est sorti des stades et des gymnases, il a quitté le cadre restreint des pratiques et des spectacles sportifs : c’est un système de conduite de soi qui consiste à impliquer l’individu dans la formation de son autonomie et de sa responsabilité. [1] »
Expression anglo-saxonne que l’on pourrait traduire par « Reste optimiste ! / Garde la pêche et une attitude positive ! / Ne te laisse pas abattre ! », Keep Your Spirits Up ! a justement tout de l’encouragement sportif devenu mantra de vie. Empruntée à une peinture de Sylvie Fanchon – dont l’exposition « SOFARSOGOOD » [jusqu’ici tout va bien] servira de cadre à ce projet de rencontre entre la performance artistique et le sport – cette expression charrie aussi bien ce que l’élan enthousiaste peut avoir de moteur, pour soi mais aussi pour les autres, que l’injonction paradoxale à aller bien à tout prix, à ne devoir qu’être en forme. Keep Your Spirits Up ! réunit ainsi un groupe d’artistes, pratiquant tous·tes la performance, qui ont en commun d’explorer à travers leur travail les notions d’effort, de limite, de fatigue, d’épuisement, mais aussi de repos, de retrait, de dépense et de grève, ainsi que les injonctions sociétales à l’optimisme et à garder le cap. Chacun·e à leur manière, ils·elles convoquent, détournent et interrogent cette culture de l’héroïsme héritée du sport. Et si dans les arts visuels contemporains, l’art de la performance désigne, de manière générale, une action en train de se faire en présence d’un public, le mot désigne aussi une forme d’accomplissement, de succès, en somme une sorte de victoire... Quid de la performance artistique qui résiste et propose une alternative à la performance, à l’épreuve ?
C’est ce que ce programme se propose d’explorer en invitant des artistes à échanger avec des sportif·ves pour mieux interroger la wellness culture [la culture du bien être] et ses dérives capitalistes. Quelles places pour des corps hors-tempo, non-performants, inefficaces ? Comment un corps épuisé, qui refuse la performance et résiste aux injonctions de dépassement de soi peut aussi offrir de nouvelles possibilités pour penser le collectif, l’interdépendance, l’attention à soi et aux autres ?
Elena Lespes Muñoz
[1] Alain Ehrenberg, in Le culte de la performance, Paris Calmann-Lévy, 1991
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